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Cette conscience innommable

Modifié le : 2019/08/03

Ai ter­mi­né la lec­ture de Phi : A Voyage from the Brain to the Soul

Son auteur, Giu­lio Tono­ni, psy­chiatre et cher­cheur, nous pré­sente une livre pour le moins ori­gi­nal. Au lieu d’étaler ses hypo­thèses de manière savante, il opte de nous racon­ter, à tra­vers de mul­tiples his­to­riettes, les péré­gri­na­tions de Gali­lée dans sa quête d’une défi­ni­tion de la conscience. Il faut prendre ici le terme dans son sens propre (conscious­ness en anglais).

Vous et moi sommes habi­tés par la cer­ti­tude d’exister, car nous sommes conscients, nous savons sim­ple­ment que nous exis­tons. A prio­ri, cela ne sert de dis­cu­ter là-des­sus. Anti­dote nous dit de la conscience que c’est un sen­ti­ment, une per­cep­tion que l’être humain a de lui-même, de sa propre exis­tence, ain­si que du monde exté­rieur.

Mais qu’est-ce que cela signi­fie, au juste, pos­sé­der une conscience ? Pour­rait-on expli­quer ce phé­no­mène ? Pour­rait-on le quan­ti­fier ? Sommes-nous seuls, sur cette pla­nète à être conscients ? Existe-t-il des degrés dans la conscience ? Quelle par­tie du cer­veau en serait le siège ? Et puis, quand nous rêvons, est-ce un autre état de la conscience ? Est-ce une réa­li­té ? Ces ques­tions donnent rapi­de­ment le ver­tige et ne sont pas nou­velles. Les phi­lo­sophes, et par­fois les scien­ti­fiques, se sont déjà pen­chés sur le phé­no­mène, mais s’y sont rapi­de­ment butés ou l’ont esqui­vé par une tour­nure stylistique.

Au lieu d’aborder ce sujet et ses mul­tiples inter­ro­ga­tions et mys­tères avec un lan­gage savant, Tono­ni nous pro­pose plu­tôt une fable et c’est le pre­mier grand coup de maître de cet auteur. Cet homme écrit fort bien. Tout en petits cha­pitres, on ren­contre divers per­son­nages, on se voit pré­sen­ter diverses ques­tions. Une per­sonne dont le cer­veau est « cou­pé » en deux pos­sède-t-elle deux per­son­na­li­tés ? (on peut « geler » un cer­veau). Et si on finit par réunir les deux cer­veaux, jusqu’alors étran­gers, une nou­velle per­son­na­li­té émerge ? Le corps par­ti­cipe-t-il entiè­re­ment à la conscience ? Qu’advient-il des gens qui ne sentent rien, mais qui demeurent conscients ? Qu’advient-il, a contra­rio, des gens dont le corps est vivant, mais dont le cer­veau n’émet aucun signal ? Est-ce là la vraie mort ? La conscience est-elle plus grande que la somme de ses perceptions ?

On com­mence ain­si sa lec­ture par des réduc­tions. L’auteur cherche ain­si à cer­ner ce que la conscience n’est pas, et j’ai été fas­ci­né par cette par­tie de la lec­ture. Puis, lorsqu’on a atteint une base fra­gile de ce que la conscience n’est pas, on se doit for­cé­ment d’aller sur le ter­rain de ce qu’elle est.

Avec des « guides » savants et à tra­vers de mul­tiples ren­contres, nous par­tons, dans la deuxième par­tie, à la décou­verte d’une défi­ni­tion. Et c’est là que ça com­mence à tour­ner, à glis­ser. La lec­ture est aus­si fas­ci­nante et plai­sante, mais on sent qu’on bas­cule plus faci­le­ment vers la fable et l’intuition. Mal­gré tout, l’auteur main­tient le cap et nous pro­pose un modèle, une uni­té, le phi.

Cer­taines des his­toires sont vrai­ment bien écrites et sai­sis­santes. D’autres paraissent ampou­lées. La beau­té, tou­te­fois, de ce livre, est qu’il nous offre, à la fin des cha­pitres, les réflexions de l’auteur qui se détache de lui-même pour se cri­ti­quer en quelque sorte. Il décor­tique par­fois très clai­re­ment, et par­fois de manière un peu confuse, ce qu’il a ten­té d’explorer. Car il s’agit bien ici d’une ébauche d’explication. On sent durant la lec­ture les tâton­ne­ments, les hési­ta­tions de l’auteur, ce qui le rend d’autant plus humain.

Mal­gré toute cette belle inven­ti­vi­té, j’ai fini par m’impatienter dans le troi­sième tiers du livre. L’auteur ne semble plus maî­tri­ser son sujet. S’il demeure humble dans ses pro­po­si­tions, il ne prive pas de faire plus lit­té­raire. À défaut de com­prendre, pour­quoi ne pas racon­ter ? Ses argu­ments deviennent par­fois très cir­cu­laires et étour­dis­sants, comme dans ces jeux de logiques intel­lec­tuelles avec les­quelles tout étu­diant en phi­lo­so­phie aime se gar­ga­ri­ser entre deux saouleries.

Tono­ni a, au mini­mum, le cou­rage de pro­po­ser, de faire des pas. Son livre est truf­fé d’illustrations. Le livre est beau, l’auteur est élé­gant et sa connais­sance de la folie humaine (il est psy­chiatre, ne l’oublions pas), colore ses écrits de manière très vivante et incar­née. Ce livre est une sorte de Divine Comé­die à laquelle il emprunte la formule.

Je suis allé lire ensuite ce qu’on en pen­sait. Loin de faire l’unanimité, les pro­po­si­tions de l’auteur ne sont pas moins dis­cu­tées sérieu­se­ment. Voi­ci quelques liens qui expliquent mieux que moi de quoi il en retourne.

La pho­to est de moi. Il s’agit d’une modi­fi­ca­tion d’une simple image : les traces lais­sées durant la cuis­son d’un pain sur du papier parchemin.

Il a aimé : http://online.wsj.com/article/SB10000872396390443816804578004260864176392.html

Un bon résu­mé : http://www.scientificamerican.com/article.cfm?id=mind-reviews-phi

L’aspect savant : http://en.wikipedia.org/wiki/Integrated_Information_Theory

Il est très cri­tique face à l’approche : http://philosophyandpsychology.com/?p=2258

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