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De la nécessité d'aimer

Je venais de mon­ter sur l’elliptique et, pen­dant que je com­men­çais à péda­ler, je me cher­chais de quoi regar­der sur Net­flix. Je n’avais pas le goût d’une comé­die, je venais aus­si de ter­mi­ner le vision­ne­ment d’un docu­men­taire sur la mou­ve­ment reli­gieux amé­ri­cain La Famille. J’ai tapé « gay » dans la recherche. Je ne me fai­sais pas trop d’illusions. Il se cache sou­vent dans cette caté­go­rie autant de farces, des drames sha­kes­pea­riens ou de petites his­to­riettes qui pro­mettent un peu de tur­ges­cence sans pour autant qu’on en res­sorte ému ou apaisé.

C’est donc avec un peu d’appréhension que j’ai com­men­cé le vision­ne­ment de God’s own coun­try de Fran­cis Lee, un film de 2017, sans savoir que ce film avait rem­por­té de nom­breux prix à tra­vers le monde dans la caté­go­rie du film indé­pen­dant. Le titre, en fran­çais, est joli : Seule la terre.

L’histoire a maintes fois été racon­tée, autant dans la sexua­li­té hété­ro- qu’homosexuelle. Un étran­ger arrive dans un vil­lage, vient bou­le­ver­ser la vie de quelqu’un qui se croyait per­du. Nous sommes dans la cam­pagne anglaise. John­ny Sax­by, fils de culti­va­teur, a du mal à accep­ter l’avenir que lui pré­sente la des­ti­née. Son père aca­riâtre se remet d’un AVC, John­ny doit se taper l’ensemble du tra­vail à la ferme, se saoule plus sou­vent la gueule le soir, se lève en vomis­sant le matin. La mère ne dit mot. Le jeune homme va vendre un boeuf aux enchères, en pro­fite pour sau­ter sur un jeune vil­la­geois dans une rou­lotte. Scène expli­cite, brute comme la cam­pagne peut l’être. Cela m’a rap­pe­lé confi­dences d’un méde­cin légiste qui vivait dans une ville éloi­gnée de Rus­sie, et qui me racon­tait, bou­teille de vod­ka à moi­tié vide, par la magie de l’Internet, les frasques des hommes entre eux. C’est le bal des non-dits, des frus­tra­tions, du non-amour, le com­por­te­ment sté­réo­ty­pé des cam­pa­gnards, ou des refou­lés, qui n’acceptent pas la déviance, la consi­dé­rant un péché mor­tel et qui réagissent le plus sou­vent en arbo­rant un visage de béton, cloî­trés dans la peur de mon­trer une quel­conque faiblesse.

Le film, une pre­mière réa­li­sa­tion, aurait pu se can­ton­ner ain­si à décrire ce qui a déjà été maintes fois mon­tré. Arrive un bel ouvrier rou­main, Gheor­ghe, un immi­gré mal reçu évi­dem­ment par les vil­la­geois. Il a été enga­gé par la famille afin d’aider briè­ve­ment aux tra­vaux de la ferme, durant la sai­son des mises à bas chez les brebis.

La rudesse de John­ny envers le tra­vailleur pré­sage sans sur­prise que le tout chan­ge­ra. Après tout, on est dans la démons­tra­tion de contrastes qui doivent se récon­ci­lier, et pas néces­sai­re­ment parce qu’il s’agit d’un film sur la rela­tion homosexuelle.

Le Rou­main aux che­veux noirs bou­clés s’y connaît en tra­vail, il sait aus­si s’occuper des ani­maux, ce que John­ny ne sait trop faire. Les scènes sont clas­siques. Les deux jeunes hommes vont répa­rer un mur de pierres et s’occuper des bre­bis, loin de la mai­son. Bon en an mal an, l’orage éclate entre eux ain­si que la pas­sion. Après quelques jours, John­ny est déjà un autre homme.

Je n’en dis pas plus sur l’histoire qui demeure somme toute assez simple. Celle-ci est cepen­dant bien fil­mée, avec des scènes directes, franches, d’une inti­mi­té qui m’a inter­pel­lé. Tous les acteurs sont justes, il n’y a rien de cari­ca­tu­ral dans leurs com­por­te­ments et visions des choses. Après mes vingt minutes d’elliptique, je me suis cou­ché dans mon lit, au lieu d’aller prendre ma douche. À la fin du vision­ne­ment, j’étais ébran­lé, je l’avoue.

La beau­té de ce petit film réside dans les sen­ti­ments qu’il expose, la pro­messe d’un jour meilleur qui arrive, car le film, pour une fois, finit bien. Il m’a confron­té à ce que j’ai pu réus­sir en termes d’amour, à la grosse boule d’espoir qui s’est soli­di­fiée comme une balle dure en moi, du constat que les pos­si­bi­li­tés sont main­te­nant ténues de ce côté, du moins la prise de conscience du temps per­du à avoir vou­lu être aimé.

Je me suis vrai­ment vu à la ferme, vivre avec un beau Rou­main. Soit, oublions la ferme, même si je peux être un gars dur à l’ouvrage. Avoir eu vingt ans, cela aurait cepen­dant tout à fait pos­sible. Le bon­heur peut être vrai­ment dans les prés.

Mais pour le reste… Ce rêve, cette néces­si­té d’avoir un com­pa­gnon, de par­cou­rir les heures avec lui et de quit­ter la pla­nète ayant dans le cœur la fleur de son sou­rire, cela je n’ai pas eu. Bien sûr, j’ai aimé et j’aime encore à ma façon, avec ce que le kar­ma et le Dhar­ma m’ont indi­qué. Il me fal­lait quand même l’écrire ici, car on ne peut avan­cer dans la vie si on tait ses échecs, si on les regarde pas en face afin d’en faire, comme il se doit, la matière, le ciment, la cohé­sion de notre existence.

Il se peut fort bien que vous regar­diez ce film sans vous émou­voir. Pour cer­tains, les quelques scènes sexuelles les met­tront mal à l’aise même si elles ne sont, après tout, que sug­gé­rées. On y recon­naî­tra, j’en suis convain­cu, la sexua­li­té de tous les hommes et c’est ce qui compte.

God’s own coun­try ne pas­se­ra vrai­sem­bla­ble­ment pas à l’histoire du ciné­ma. Il aura mar­qué un temps la mienne, me rap­pe­lant la néces­si­té d’aimer, de rêver encore de ce que je pour­rais être quand je serai grand et d’être main­te­nant ce que je suis puisque je suis vieux.

Les his­toires que j’ai écrites n’ont pas la finesse de ce film, mais j’y ai recon­nu la même pudeur crue. Il y a de la magie et de l’éternel à racon­ter l’amour.

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