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La plante solitaire

Je n’ai qu’une plante dans l’appartement. Elle est arri­vée chez moi à la fin de l’automne, parce que les jeunes chats du voi­sin s’amusaient mécham­ment avec elle, la déra­ci­naient comme s’il s’agissait d’une proie déjà morte. Elle n’était d’ailleurs plus belle à voir, rabou­grie, pen­chée vers un hori­zon dont elle ne sem­blait pas recon­naître la géométrie.

Il s’agit d’un faux jas­min mai­gri­chon dont Yves, mon voi­sin, per­sis­tait à conser­ver mal­gré les raille­ries de Laurent, son mari. Aus­si­tôt que la tem­pé­ra­ture le per­met­tait, il la pla­çait sur la gale­rie arrière et elle pou­vait mieux pro­fi­ter du soleil, même si le grand frêne d’un de nos voi­sins s’accapare toute la lumière, au grand dam de Laurent et de ses rosiers. Puis, lorsque les sai­sons froides reve­naient, Yves rame­nait la plante à l’intérieur. Mais l’arrivée des chats a chan­gé la donne. Peut-être les timides fleurs au par­fum assez capi­teux leur tour­naient la tête si bien qu’Yves se déci­da à la mon­ter chez moi avant qu’elle ne crève.

Depuis, et à mon grand éton­ne­ment, la plante rever­dit, fleu­rit plus que d’habitude. Il faut dire que je m’inquiète pour elle. Je lui four­nis aux quatre jours son eau quand mon doigt plon­gé dans la terre ne per­çoit plus d’humidité. Il faut dire éga­le­ment que là où elle est, elle pro­fite mieux du soleil, ma chambre don­nant au sud. L’hiver aide, aucun arbre n’est là pour lui voler les rayons nécessaires.

Je ne me suis jamais consi­dé­ré avoir le pouce vert même si mon ex m’affirma récem­ment le contraire. Je n’ai pas sou­ve­nir de ça (j’ai du mal à me sou­ve­nir, point, du moins pas de ces choses). Je crai­gnais au départ qu’elle ne se plaise pas plus en ma com­pa­gnie qu’avec les chats du rez-de-chaussée.

Ma der­nière inquié­tude face à elle est sa soli­tude. On dit que les plantes se parlent entre elles. Ne dit-on pas que les arbres s’alertent face aux rava­geurs ? N’affirme-t-on pas que par­ler aux plantes leur pro­cure grand bien ? On dit la même chose des vaches lai­tières qui, à l’écoute de Mozart, don­ne­raient plus de lait que si elles avaient à subir le choix musi­cal de cer­tains DJ.

Ma plante est seule, affai­rée à extraire de la terre les élé­ments qui la main­tiennent en vie. Elle est seule la nuit à subir mes ron­fle­ments. Pour­tant elle pro­fite, ses éphé­mères émettent son déli­cat par­fum. Moi qui n’ai pas vrai­ment le nez fin dois me pen­cher sur elles pour décou­vrir son odeur de grand-mère. Peut-être cela lui suf­fit. Elle n’en a, pour l’instant, pas d’autre choix.

Je crois que si son pro­prié­taire me le per­met, je vais conser­ver cette plante et lui trou­ve­rai des amies. Yves sera là pour me rap­pe­ler qu’il faut les rem­po­ter, mais pour le reste, si je demeure fidèle au temps qui accom­pagne ma vie, je serai là pour elles.

Il ne s’agit pas de sen­ti­men­ta­li­té, seule­ment de pré­sence res­pec­tueuse, la source de toutes les paix.

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