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Le temps en moi

L’hiver a fini par reprendre ses droits, même s’il a paru se trai­ner les pieds, cette année, avant d’annoncer ses fri­gides cou­leurs. Durant mes vacances plus longues que d’habitude – je n’avais pris aucun congé durant l’année – , le temps fut plu­tôt à la pluie, les tem­pé­ra­tures vivo­tant entre l’automne et les bourrasques.

Ce matin de mon retour au tra­vail, le froid ne fai­sait pas dans la den­telle, trans­per­çait lit­té­ra­le­ment les os, car per­sonne n’y avait été vrai­ment confron­té depuis novembre, du moins dans cet enclos humide qu’est l’île de Montréal.

Un soleil étin­ce­lant, un vent franc, direct, vous regar­dait droit dans les yeux afin de bien vous faire com­prendre que vous n’aviez de choix que de grelotter.

Cela ne m’a pas empê­ché d’entreprendre le tra­jet à pied vers le bureau. C’est après tout le seul exer­cice que je fais à part quelques éti­re­ments yoguiques.

C’était il y a déjà sept jours. J’en suis à mon second lun­di au tra­vail. Mes trois semaines de vacances ont été béné­fiques. J’en ai pro­fi­té pour ter­mi­ner une fois pour toutes cer­tains tra­vaux de réno­va­tion qui trai­naient depuis plu­sieurs années, un pour­tour de fenêtre, un pla­fond éven­tré par de pré­cé­dents tra­vaux d’urgence au toit, et même un meuble télé, fait maison.

Des tâches manuelles bien­ve­nues, hors des cli­que­tis acides et pré­oc­cu­pants du cer­veau qui auront impré­gné sur mon corps un sen­ti­ment bien­heu­reux d’une fin en soi.

J’ai dit à la blague à mon entou­rage que je pou­vais main­te­nant vendre la mai­son, ayant d’une cer­taine manière fran­chi un étape, être arri­vé à un but.

La drô­le­rie cache peut-être un malaise. Mon regard atteste du tra­vail accom­pli et du bien-être que l’appartement me pro­cure doré­na­vant. Le hasard et la chance m’ont d’ailleurs per­mis d’acheter une belle table et des chaises pour rem­pla­cer de vieux meubles dépareillés.

Pour­tant, au lieu de pro­fi­ter vrai­ment de cette fina­li­té, une fébri­li­té à peine conte­nue m’angoisse, me rap­pelle qu’il ne faut pas aus­si vite bais­ser les bras, qu’il me fau­drait conti­nuer, pas­ser à autre chose, comme si ter­mi­ner ne fai­sait pas par­tie de mon voca­bu­laire, comme si mou­rir ne pou­vait pas être la suite logique de l’existence.

C’est bien moi, confron­ter mon suc­cès à la Grande Noir­ceur, admi­rer la lumière mais aus­si l’Ombre qu’elle produit.

Au lieu de m’asseoir, je reste debout avec une volon­té de jeter ceci et cela, de faire table rase, de vider des fonds de tiroir pous­sié­reux et pré­his­to­riques, de me débar­ras­ser de pho­tos d’un pas­sé révo­lu et inutile, de don­ner, de trans­mettre à un sui­vant plus jeune.

Trop d’objets dans cet appar­te­ment confortable.

Oh, il y a encore à faire d’autant que la mai­son auront besoin de nou­veaux bal­cons, d’un rafraî­chis­se­ment du toit. Quand on pos­sède, il faut se sou­mettre aux dik­tas de l’entretien. Les choses sont plus éter­nelles que nous. Elles ont leur revanche.

Un pres­sen­ti­ment rôde autour de moi, pre­nant pro­ba­ble­ment sa source aux soixante-quatre ans que j’aurai bientôt.

Pour beau­coup, cela sonne l’heure de la retraite. Je ne sais trop ce que cela peut repré­sen­ter pour moi, n’ayant pas la for­tune néces­saire pour conser­ver mon confort actuel qui, je le sais bien, est rela­tif à ce que l’on fait de son pré­sent et de son argent.

Cer­tains signes ne trompent pas, tant au tra­vail que dans ma vie per­son­nelle. Ils annoncent un lent mou­ve­ment tec­to­nique se fau­fi­lant sous l’enchevêtrement humble et ter­restre de ma vie.

L’hiver a pris sa place dans la ville et ma peau veut pour­tant se débar­ras­ser de son ancien plu­mage, l’écorce de mon corps s’ouvre pour ten­ter quelques nou­velles branches ultimes et hâtives. Est-ce vain ou néces­saire ? J’aurais tant à dire sur ce qui a déjà été maintes fois écrit. Je ne suis pas ori­gi­nal dans mon vieillissement.

Il est 21h30 et je m’endors. Je rêve beau­coup par les nuits qui courent. Mon incons­cient me dicte ses volon­tés avec toute la mal­adroite sagesse de ses sym­boles et de ses images.

Si l’hiver reven­dique ses droits, le temps en moi exige mon atten­tion cyclothymique.

Le temps en moi…

Du sable soli­taire dans un enton­noir fra­gile et de verre.

Je retourne à mes rêves, car demain l’horloge des autres repren­dra aus­si ses droits dans l’engrenage de mon destin.

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