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Sans ailes

Il fai­sait très froid, il y a une semaine. C’était un dimanche, je suis allé faire quelques courses à l’épicerie du quar­tier. Le soleil, bien pré­sent, ne pou­vait rien contre le vent gla­cial. Là, sur le trot­toir, ces ailes, pro­ba­ble­ment un oiseau déjà faible qu’un chat aura tôt fait d’achever, n’emportant que ce qui pou­vait vrai­ment satis­faire sa faim. 

J’imagine en tout cas que c’est un chat… com­ment savoir. J’ai pris le temps de pho­to­gra­phier la scène pen­dant que quelques pas­sants me regar­daient avec dégoût. 

Depuis, la pho­to est res­tée élec­tro­ni­que­ment figée dans un réper­toire de mon ordi­na­teur alors que mon esprit ten­tait en vain de dire quelque chose de pro­fond et de pas trop miel­leux, ou de trop triste ou de trop autoflagellant.

Sans faire dans le mélo­drame, j’ai le sen­ti­ment de me regar­der, par cette pho­to, dans un miroir, immo­bi­li­sé dans une pen­sée sans issues. J’ai fait tant de choses, j’ai explo­ré, à la hau­teur de ma modeste capa­ci­té, quelques uni­vers artis­tiques, j’élève chaque jour ma voix et, à la tom­bée de la nuit, je m’engouffre dans des draps bien lavés. Je suis silen­cieu­se­ment fati­gué, à jour dans ma besogne pro­fes­sion­nelle, y réus­sis­sant plu­tôt bien, mais tout de même au neutre, sans ces ailes que je pense avoir un peu perdues. 

Les per­sonnes qui m’entourent vont vite me dire des « mais voyons, tu as tout pour toi » de cir­cons­tance et je ne nie­rai pas ce fait. Je sais éga­le­ment que rien ne sert de cou­rir, qu’il faut jouir de ce que l’on a, de par­tir à point, d’être kai­zen et zen, de rou­ler sa petite boule d’existence.

Ces ailes arra­chées m’ont donc confron­té à cette réa­li­té bien réelle de notre fina­li­té et, en tant qu’humain, je suis prêt à m’y confor­mer. Je n’ai, de toute manière, vrai­ment pas le choix. Alors, ces­sons de chia­ler retrous­sons-nous les manches et vivons.

Voi­là qui est bien dit, n’est-ce pas ?

Ces ailes esseu­lées m’ont éga­le­ment fait pen­ser à tous ces hommes qui aiment les hommes et qui, dans des pays pas trop loin­tains, se voient contraints d’échanger un peu de ten­dresse sèche par du sexe fur­tif. J’ai des amis, dans ces pays, pour qui l’amour ne s’enrobe pas dans le rêve des anges. Ils font sem­blant de res­ter dans le rang, prennent épouse, font des enfants, et fan­tasment d’anges noirs, éja­cu­la­teurs. J’ai des amis ici aus­si pour qui l’amour se fait sans s’embrasser, dans la vio­lence par­fois. Ils ne croient pas en la fidé­li­té (moi pas vrai­ment non plus), et demeurent à la fois soli­taires et heu­reux en bran­lette, mal­heu­reux en amour. Au fond, je tiens peut-être ici le sujet de mon pro­chain roman…

Je deviens confus, comme tou­jours. Tout peut tel­le­ment dire tout et tout m’amène à tout ou rien.

Peut-être que main­te­nant mes ailes sont dif­fé­rentes, peut-être qu’il n’est plus néces­saire de pla­ner. Peut-être faut-il vrai­ment que j’apprenne à navi­guer sur des rêves et des vagues tangibles.

Peut-être…

Il fait gris aujourd’hui. On ne voit pas le ciel des possibilités.

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